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Difficultés des entreprises

04/11/2021 11:33:26

catégorie : Procédures collectives

Livre VI du code de commerce : petit panorama d’une grande réforme.

Deux ordonnances réformant respectivement le droit des sûretés (Ord. n° 2021-1192, 15 sept. 2021) et le livre VI du code de commerce (Ord. n° 2021-1193, 15 sept. 2021) ; un décret modifiant le même livre (D. n° 2021-1218, 23 sept. 2021) : trois bonnes raisons de s’arrêter sur l’importante réforme du droit des entreprises en difficulté.

Cette réforme est le fruit mélangé de trois influences : deux structurelles et une conjoncturelle. La première est la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019 dite « restructuration et insolvabilité ». Sa transposition imposait de modifier substantiellement certains pans du livre VI du code de commerce, notamment celui traitant de la restructuration du passif du débiteur. La substitution aux « comités de créanciers » des « classes de parties affectées » et le cortège de mesures qui l’accompagnent l’illustre. La deuxième influence est la réforme concomitante du droit des sûretés. On aura rarement mieux montré que le livre VI du code de commerce éprouve concrètement l’efficacité du droit des sûretés et que la réforme de celui-ci s’accompagne nécessairement d’une modification de celui-là. A ces deux influences structurelles s’ajoute le conjoncturel : ce dernier s’est invité sous la forme de la crise sanitaire que l’on sait. Certaines des adaptations temporaires du droit des entreprises en difficulté rendues nécessaires par la crise ont fait la preuve de leur efficacité. La réforme du livre VI du code de commerce pérennise donc des dispositions initialement éphémères. Cette crise sanitaire accentua par ailleurs l’importance de la prévention que le Rapport du Président Richelme se proposait de consolider (Rapport de la mission « Justice économique », févr. 2021 : BAG 150, « Rapport sur la justice économique : les greffiers au cœur de la prévention », p. 1 et « Rapport Richelme : l’information sur la prévention, grande cause nationale », p. 3) : c’est chose faite.

Difficile d’embrasser d’un coup d’œil la réforme intervenue tant le panorama offert est vaste. Tous les pans du livre VI du code de commerce, de la prévention (titre I) jusqu’aux voies de recours (titre VI) sont concernés… à la notable et regrettable exception des responsabilités et sanctions (titre V). Les modifications ne sont certes pas de même ampleur qu’il s’agisse tant de leur nature que de leur impact pratique : celles attirant aujourd’hui le regard (classes de parties affectées, sauvegarde accélérée…) ne sont pas forcément celles qui demain influeront réellement sur la pratique des procédures collectives. Laissons au temps le temps de passer au tamis les nouveautés décisives. Le temps est néanmoins un luxe dont les praticiens ne disposent pas : les dispositions de l’ordonnance n° 2021-1193, si elles ne sont pas applicables aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur, s’appliquent en effet depuis le 1er octobre 2021 (Ord. n° 2021-1193, 15 sept. 2021, art. 73). Toutes ne peuvent être abordées dans le cadre de cet article si bien qu’une sélection a été faite. Plutôt qu’à une analyse thématique, la présente étude s’inspire de la chronologie adoptée par ladite ordonnance. Le propos s’articule ainsi autour de trois axes : la prévention, la restructuration et la liquidation.

Prévention

Le dispositif de prévention stricto sensu connaît de nombreux ajustements qui n’en altèrent toutefois pas la physionomie générale. Le constat vaut tant pour les dispositifs d’alerte que pour la procédure de conciliation.

   Les dispositifs d’alerte

Information du président du tribunal

L’ordonnance du 15 septembre 2021 améliore l’efficacité et la célérité des dispositifs d’alerte. Le président du tribunal de commerce, qui convoque un dirigeant à un entretien dans le cadre de son droit d’alerte, peut désormais obtenir dès l’envoi de la convocation la communication de tous renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique et financière du débiteur (C. com., art. L. 611-2, I) et non plus à l’issue de l’entretien.

Alerte du commissaire aux comptes

Consolidant le dispositif institué pendant la crise sanitaire, un nouvel article L. 611-2-2 permet d’accélérer le déroulement de la procédure d’alerte du commissaire aux comptes et d’informer plus tôt le président du tribunal. Lorsqu’il lui apparaît que l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse ou fait savoir qu’il envisage des mesures que le commissaire aux comptes estime insuffisantes, ce dernier peut ainsi en informer le président du tribunal compétent dès la première information faite au président du conseil d’administration ou de surveillance ou au dirigeant (C. com., art. L. 611-2-2, al. 1er). L'urgence permet d’éluder le strict respect des étapes de l’alerte.

   La procédure de conciliation

Outre l’actualisation terminologique de certains textes (C. com., art. L. 611-3 et L. 611-6), la conciliation fait l’objet de deux importantes retouches.

Délais de paiement

La première précise l’octroi de délais de paiement au sens de l’article 1343-5 du code civil, au débiteur, par le juge ayant ouvert la conciliation (C. com., art. L. 611-7, al. 5). La mise en demeure ou la poursuite du créancier n’est plus une condition pour suspendre l’exigibilité de la créance. Le juge peut désormais par ailleurs reporter ou échelonner le règlement des créances non échues, dans la limite de la durée de la mission du conciliateur. Cette modification est censée renforcer l’attractivité de la conciliation, préalable nécessaire à la demande d’ouverture d’une sauvegarde accélérée, « dont on sait que la menace est aussi un argument utile à la négociation conduite par le conciliateur » (Rapp. au Président de la République, p. 9). On remarquera en passant que le garant du débiteur bénéficie aussi plus largement des délais de grâce octroyés par le juge au débiteur (C. com., art. L. 611-10-2, mod. par Ord., art. 7).

Conséquences de la fin de l’accord amiable

La seconde retouche introduit un article L. 611-10-4 selon lequel « la caducité ou la résolution de l’accord amiable ne prive pas d’effets les clauses dont l’objet est d’en organiser les conséquences ». Il s’agit d’atténuer les effets d’une décision remarquée en son temps de la Cour de cassation (Cass. com., 25 sept. 2019, n° 18-15.655) et d’inciter les parties à l’accord de conciliation à négocier et à déterminer les conséquences d’une issue malheureuse dudit accord. Cette retouche conforte la nature contractuelle de l’accord de conciliation en faisant la part belle à la volonté des parties.

Restructuration

C’est évidemment le volet « restructuration » du livre VI du code de commerce qui connaît les modifications les plus importantes. Reflet de la double influence structurelle inspirant la réforme, les principales innovations se répartissent selon qu’elles concernent les volets « sûretés » ou « procédure » de ce livre.

   Le volet « sûretés »

Conforter : le sort du garant du débiteur

La protection du garant du débiteur est accrue. Alors que les sûretés non déclarées sont également déclarées inopposables, comme les créances (C. com., art. L. 622-26, al. 2), la durée de leur inopposabilité au garant du débiteur est calquée sur celle de ce dernier soit pendant l’exécution du plan « et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus ». Il est par ailleurs inséré un article L. 622-34 selon lequel « même avant paiement, les personnes coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent procéder à la déclaration de leur créance pour la sauvegarde de leur recours personnel ». Confortant encore sa protection, en cas de poursuites, le garant ne peut se voir opposer l’état des créances lorsque la décision d’admission de l’article L. 624-2 ne lui a pas été notifiée (C. com., art. L. 624-3-1). Le dernier alinéa de l’article L. 631-14 du code de commerce est supprimé. Il en découle que les articles L. 622-26, alinéa 2 (déjà évoqué) et L. 622-28, alinéa 1er du code de commerce (relatif à l’arrêt du cours des intérêts) s’appliquent au garant personne physique dans le cadre du redressement judiciaire. Last but not least, la suppression de la règle antérieurement prévue à l’article L. 631-20 du code de commerce permet désormais aux garants personnes physiques de se prévaloir des dispositions du plan ; il importe donc peu qu’il s’agisse d’un plan de sauvegarde ou de redressement.

Pérenniser : le privilège « d’argent frais »

L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 ayant institué un nouveau privilège pour apport d’argent frais en procédure collective est pérennisé. Il s’agit de faciliter le financement de l’entreprise en difficulté lors de la période d’observation et au moment du plan. L’institution de ce privilège en épouse la chronologie. Les créances résultant d’un nouvel apport de trésorerie consenti en vue d’assurer la poursuite de l’activité pour la durée de la procédure intègrent l’énumération des créances de l’article L. 622-17 du code de commerce qui, nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. Ces apports sont préalablement autorisés par le juge-commissaire dans la limite nécessaire à la poursuite de l’activité pendant la période d’observation (ce qui prévient le risque d’abus) ; ils font l’objet d’une publicité (mesure nécessaire pour instituer un privilège). Un même privilège est institué dans le cadre du plan de restructuration. Le projet de plan mentionne ainsi les engagements d’effectuer des apports de trésorerie pris pour l’exécution du plan (C. com., art. L. 626-2, al. 2) tandis que le plan arrêté par le tribunal mentionne de manière distincte les apports de trésorerie des personnes qui se sont engagées à les effectuer (C. com., art. L. 626-10). Les créances résultant de ces apports de trésorerie bénéficient du privilège de l’article L. 622-17, III, 2° du code de commerce.

   Le volet « procédure »

Refondre : la sauvegarde accélérée

L’article 38 de l’ordonnance procède à une complète refonte du chapitre VIII du titre II et institue la procédure de sauvegarde accélérée (PSA). Ce chapitre s’articule en deux sections portant respectivement sur l’ouverture et les effets de cette procédure. Le même découpage vaut pour les dispositions réglementaires (C. com., art. R. 628-1 et s.). La PSA est ouverte à la demande d’un débiteur engagé dans une procédure de conciliation qui justifie avoir élaboré un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise. Ce projet doit être susceptible de recueillir, de la part des parties affectées à l’égard desquelles l’ouverture de la procédure produira effet, un soutien suffisamment large pour rendre vraisemblable son adoption dans le délai de 2 mois, prorogeable une fois (C. com., art. L. 628-1). Plusieurs caractéristiques sont à souligner. La procédure peut être semi-collective (C. com., art. L. 628-1, al. 3). Son ouverture est subordonnée à la constitution des « classes de parties affectées » (C. com., art. L. 628-4). La procédure n’a d’effets qu’à l’égard des parties affectées par le projet de plan (C. com., art. L. 628-6) soit, en pratique, les créanciers appelés à la procédure de conciliation et éventuellement les détenteurs de capital.

Innover : les « classes de parties affectées »

Le remplacement des « comités de créanciers » dans les procédures de sauvegarde et de redressement par « les classes de parties affectées » est l’innovation emblématique de l’ordonnance n° 2021-1193. Sans entrer dans le détail de l’institution, laquelle mériterait une étude dédiée, retenons que les articles L. 626-29 et suivants du code de commerce lui sont consacrés. Une attention particulière (C. com., art. L. 626-30) est accordée à l’identification des parties affectées (soit les créanciers dont les droits sont directement affectés par le projet de plan et les associés et actionnaires, si leur participation au capital du débiteur, les statuts ou leurs droits sont modifiés par le projet de plan), à la composition des classes (l’administrateur répartit, sur la base de critères objectifs vérifiables, les parties affectées en classes représentatives d’une communauté d’intérêt économique suffisante de ces classes) et à leurs attributions dont la plus importante est le vote sur les propositions de plan (C. com., art. L. 626- 30-2). La loi organise ainsi minutieusement les modalités de consultation de ces classes de créanciers affectés, l’exercice de leur droit de vote et les conditions d’adoption d’un plan. Le tribunal conserve le cas échéant un large pouvoir d’appréciation puisqu’il peut arrêter le plan nonobstant son rejet par les classes de créanciers affectés (C. com., art. L. 626-32). Manifestation d’une véritable « magistrature économique », la loi balise cependant l’étendue du pouvoir d’appréciation du tribunal en recourant notamment au critère du best interest (ou « meilleur intérêt des créanciers »).

Liquidation

Les retouches affectant la dimension « Liquidation » du livre VI du code de commerce méritent d’être signalées en ce qu’elles en modifient les cadres. Les sanctions, suites - malheureusement - naturelles de la liquidation judiciaire, restent en revanche en marge du mouvement de réforme.

   Les cadres

La liquidation judiciaire

Les nombreuses modifications relatives à la liquidation judiciaire sont de portée inégale. Beaucoup sont des retouches formelles qui substituent aux mots « Le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel » l’expression « Les membres du comité social et économique ». On notera également que l’article L. 642-12, alinéa 4 du code de commerce, relatif au transfert de la charge des sûretés dans le cadre d’un plan de cession, est réécrit pour tenir compte de la réforme du droit des sûretés (Ord., art. 57). Le texte vise désormais « la charge des sûretés réelles spéciales » et non plus les « sûretés immobilières et mobilières spéciales ». De manière plus substantielle, le nouvel article L. 643-8 du code de commerce rend plus lisible l’ordre des paiements des créanciers en cas de liquidation judiciaire du débiteur. Une clarification rendue nécessaire tant par l’intégration du nouveau privilège « d’argent frais » que par le recours à la définition du « meilleur intérêt des créanciers », lequel conditionne pour partie l’application du dispositif de classes de parties affectées (C. com., art. L. 626-31, 4°).

La liquidation judiciaire simplifiée

Confortant le dispositif institué en période de crise sanitaire, le débiteur personne physique voit l’accès à cette procédure facilitée, « seule la première condition [étant] requise » (C. com., art. L. 641-2, mod. par Ord., art. 52). Autrement écrit, il suffit que l’actif de ce débiteur ne comprenne pas de bien immobilier pour qu’on lui applique la liquidation judiciaire simplifiée ; les autres conditions quantitatives (nombre de salariés et chiffre d’affaires HT inférieurs à des seuils fixés par décret) sont désormais exclues (C. com., art. L. 641-2, al. 1er). Relevant d’une inspiration différente mais bienvenue, le liquidateur, à l’issue de la procédure de vérification et d’admission des créances et de la réalisation des biens, fait figurer ses propositions de répartition sur l’état des créances et « évalue le montant des frais de justice mentionnés au 3° du I de l’article L. 643-8 prévisibles » (C. com., art. R. 644-4, al. 1er ; Ord., art. 63). La maîtrise du coût des procédures collectives est inscrite au cœur du dispositif légal.

Le rétablissement professionnel

Deux mesures affectent directement cette procédure en vue d’en élargir le domaine, et donc son effectivité, dans la perspective d’une maîtrise des frais de procédure. D’une part, « les biens que la loi déclare insaisissables de droit ne sont pas pris en compte pour déterminer la valeur de l’actif » du débiteur (C. com., art. L. 645-1, al. 1er). Sont concernés la résidence principale du débiteur (C. com., art. L. 526-1) évidemment, mais également tous les biens insaisissables au titre de la composition du patrimoine dit de « dignité » (C. pr. exéc., art. L. 112-2). D'autre part, le rehaussement du seuil de l’actif déclaré par le débiteur de 5 000 € à 15 000 €, institué à l’occasion de la crise sanitaire, est pérennisé (C. com., art. R. 645-1, al. 1er).

   Suites : les sanctions

Sans surprise, les modifications effleurent le titre V relatif aux responsabilités et aux sanctions. La retouche de l’article L. 651-2 du code de commerce portant sur la responsabilité pour insuffisance d’actif (Ord., art. 65) est ainsi devenue caduque du fait de la loi du 1er juillet 2021 en faveur de l’engagement associatif (v. BAG 155, « Insuffisance d’actif : exception de négligence étendue au dirigeant d’association », p. 4). Le décret du 23 septembre 2021 amende le contenu de l’acte de notification du jugement qui prononce une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer : celui-ci mentionne désormais (C. com., art. R. 653-3, al. 3, créé par D. n° 2021-1218, art. 45) que « la procédure pour obtenir le relèvement de ces sanctions est régie par les articles L. 653-11 et R. 653-4 du code de commerce ». Information est donc faite au dirigeant sanctionné de la possibilité d’un relèvement. Elle devra donc intégrer les trames desdits actes de notification et on espère l’information incitative… sans se bercer d’illusions.

 

Ø  Ord. n° 2021-1193, 15 sept. 2021 : JO, 16 sept.

Ø  Rapp. au Président de la République: JO, 16 sept.

Ø  Ord. n° 2021-1192, 15 sept. 2021 : JO, 16 sept.

Ø  Rapp. au Président de la République : JO, 16 sept.

Ø  D. n° 2021-1218, 23 sept. 2021 : JO, 24 sept.

 

Thierry Favario
Maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3

 

Éditions Législatives – www.elnet.fr
Article extrait du Bulletin d’actualité des greffiers des tribunaux de commerce n° 156, octobre 2021 : www.cngtc.fr