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Entrepreneur individuel défaillant

31/08/2022 17:06:28

catégorie : Procédures collectives

Toute demande d’ouverture d’une procédure collective ou de surendettement à l’égard d’un entrepreneur individuel est portée devant le tribunal de la procédure collective.

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 « en faveur de l’activité professionnelle indépendante » a préparé les conditions de la confrontation du statut nouveau de l’entrepreneur individuel au droit de la défaillance. Son article 5 amende le livre VI du code de commerce ainsi que le code rural et de la pêche maritime (pour des retouches relatives aux articles L. 351-1 et L. 351-8) et surtout le code de la consommation (le chapitre Ier du titre Ier du livre VII du code de la consommation s’enrichit d’un section 5 intitulée « Dispositions relatives à l’entrepreneur individuel ») en raison d’une coopération sinon d’une convergence accrue entre droits des entreprises en difficulté et du surendettement des particuliers. La physionomie de l’article 5 révèle une césure fondamentale entre d’un côté l’insertion d’un titre VIII « Dispositions particulières à l’entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V [du code de commerce] » et de l’autre, des mesures d’adaptation « au fil de l’eau » parcourant l’ensemble du livre VI du code de commerce.

 Cette réforme d’ampleur, que complètent deux décrets (D. n° 2022-709, 26 avr. 2022 qui définit les modalités de la « mise en extinction » de l’EIRL ; D. n° 2022-725, 28 avr. 2022 qui précise le périmètre du patrimoine affecté de l’entrepreneur individuel et les mesures de publicité liées à son activité : v. « Entrepreneur individuel : la révolution est en marche », p. 11), entre en vigueur le 15 mai 2022. Quantitativement, la réforme affectera annuellement tous les entrepreneurs individuels défaillants soumis à ce régime. Cela nourrira un contentieux dense, sans commune mesure avec les sporadiques décisions relatives aux EIRL. Des difficultés imprévues surgiront et le temps procédural nécessaire à leur règlement définitif risque de laisser perdurer au sein des tribunaux de commerce des pratiques diverses pendant un temps trop long. Qualitativement, les tribunaux des procédures collectives deviennent des quasi-juges du surendettement des particuliers. Cela impliquera une rapide « montée en gamme » des juges consulaires dans leur appréhension des mécanismes fondamentaux du droit de la consommation. Et l’on en arrive au point central : qui ne voit l’obsolescence de la césure entre activités professionnelles et non professionnelles, longtemps cardinale, et que le droit de la défaillance s’oriente désormais vers un traitement différencié selon que le débiteur est une personne physique ou morale ?

 

« Aiguillage » par le tribunal de la procédure collective

Le tribunal de la procédure collective connaît de toute demande d’ouverture d’une procédure collective ou de surendettement à l’égard d’un entrepreneur individuel (C. com., art. L. 681-1, al. 1er). Il apprécie les conditions d’ouverture d’une procédure collective, en fonction de la situation du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel et de l’article L. 711-1 du code de la consommation, en fonction de l’actif du patrimoine personnel et de l’ensemble des dettes exigibles ou à échoir dont le recouvrement peut être poursuivi sur cet actif. Il en découle fondamentalement trois possibilités : une condition sur les deux est remplie et entraîne l’ouverture à l’encontre de l’entrepreneur individuel soit d’une procédure collective soit de surendettement des particuliers ; les deux conditions d’ouverture de la procédure collective et du surendettement des particuliers sont simultanément réunies et deux procédures sont ouvertes.

   Ouverture d’une procédure collective

Si les conditions d’ouverture d’une procédure collective sont seules réunies, le tribunal ouvre ladite procédure. Celle-ci se déroule selon les dispositions qui lui sont applicables (C. com., art. L. 681-2, I), sous la réserve ponctuelle des aménagements que la loi a opérés (v. ci-dessous, « Mesures d’'adaptation « » ; par ex. : l’article L. 622-6 précise que le débiteur remet à l’administrateur et au mandataire judiciaire, « pour les besoins de l’exercice de leur mandat », la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours) et de celle générale qu’impose l’existence du patrimoine professionnel : la procédure collective concerne en effet, sauf disposition contraire, les biens, droits ou obligations du débiteur du seul patrimoine professionnel, tandis que les droits ou obligations des créanciers du débiteur s’appliquent, sauf dispositions contraires, dans les limites du seul patrimoine professionnel (C. com., art. L. 681-2, II).

   Ouverture d’une procédure de surendettement

Si seules sont réunies les conditions d’ouverture d’une procédure de surendettement des particuliers, le tribunal dit n’y avoir lieu à l’ouverture d’une procédure collective et renvoie l’affaire, avec l’accord du débiteur, devant la commission de surendettement. Le livre VII du code de la consommation, à combiner avec l’article L. 526-22, alinéa 6 du code de commerce, posant le principe de la séparation des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur en nom, s’applique (C. com., art. L. 681-3, al. 1er). Si la commission de surendettement constate au cours de la procédure que les conditions en sont remplies, elle invite le débiteur à demander l’ouverture d’une procédure collective (C. com., art. L. 681-3, al. 2). Cette disposition suscite la perplexité. Comment l’articuler, par exemple, avec l’obligation pour le débiteur de déclarer l’état de cessation des paiements dans les 45 jours de sa survenance (C. com., art. L. 631-4) au risque du prononcé d’une mesure d’interdiction de gérer (C. com., art. L. 653-8, al. 3) ? Le tribunal qui ouvre cette procédure en informe la commission de surendettement, qui est dessaisie, sauf exception (v. ci-dessous : « Ouverture de deux procédures »). Dans ce dernier cas, exceptionnel, le tribunal et la commission de surendettement s’informeront réciproquement de l’évolution de chacune des procédures ouvertes. Voilà un dialogue sinon inédit du moins complexe eu égard au changement d’échelle qu’implique la réforme, appelant à une fusion rapide des institutions…

   Ouverture de deux procédures : procédure collective et surendettement

En principe, les dispositions de la procédure collective ouverte intéressent à la fois les éléments du patrimoine professionnel et ceux du patrimoine personnel tandis que les droits de chaque créancier sur le patrimoine professionnel, le patrimoine personnel ou tout ou partie de ces patrimoines sont déterminés conformément à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V et du livre VI relative au statut nouveau de l’entrepreneur individuel. Le tribunal traite, dans un même jugement, des dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable sur ses patrimoines professionnel et personnel, en fonction du droit de gage de chaque créancier, sauf dispositions contraires (C. com., art. L. 681-2, III). On assiste ainsi à une attraction du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel défaillant dans l’orbite de la procédure collective.

Par exception, si la distinction des patrimoines professionnel et personnel a été strictement respectée et que le droit de gage des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel ne porte pas sur le patrimoine personnel de ce dernier, le tribunal qui ouvre la procédure saisit, avec l’accord du débiteur, la commission de surendettement aux fins de traitement des dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable sur son patrimoine personnel. Le livre VII du code de la consommation s’applique. Le tribunal exerce les fonctions du juge des contentieux de la protection (JCP), qu’il peut déléguer en tout ou partie au juge-commissaire (lequel devra donc faire rapidement l’acquisition d’un certain nombre de compétences). Le tribunal et la commission de surendettement s’informent réciproquement de l’évolution de chacune des procédures ouvertes. Le tribunal connaît des contestations relatives à la séparation des patrimoines de l’entrepreneur individuel qui s’élèvent à l’occasion de la procédure ouverte (C. com., art. L. 681-2, V). L’exception se justifie conceptuellement ; le dispositif paraît néanmoins excessivement complexe s’agissant de patrimoines individuels généralement peu consistants.

 

 

Ø  D. n° 2022-709, 26 avr. 2022 : JO, 28 avr.

Ø  D. n° 2022-725, 28 avr. 2022 : JO, 29 avr.

 

Thierry Favario,
Maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3

 

 

Éditions Législatives – www.elnet.fr
Article extrait du Bulletin d’actualité des greffiers des tribunaux de commerce n° 163, mai 2022 : www.cngtc.fr