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Imprescriptibilité de l’action en référé-injonction de dépôt d’actes au RCS

05/05/2023 15:47:01

catégorie : RCS

L’action, qui permet à tout intéressé ou au ministère public d’obtenir du dirigeant d’une personne morale qu’il procède au dépôt des pièces et actes au RCS auquel celle-ci est tenue, n’est pas soumise

La rareté des arrêts de la Cour de cassation en matière de Registre du commerce et des sociétés (RCS) fait tout leur intérêt et conduit à profiter des décisions rendues pour revenir sur des règles peu abordées par la doctrine. La décision commentée de la chambre commerciale du 25 janvier 2023, dont l’importance est soulignée par la Cour de cassation qui la destine à une publication au Bulletin, est de celles-là (Cass. com., 25 janv. 2023, n° 21-17.592, n° 81 B).

La relation entre le temps qui court, les obligations de publicité au RCS des personnes immatriculées et les sanctions du défaut de respect de ces obligations dans le délai réglementaire est le cœur de la décision.

Faits et solution de la Cour de cassation

Le 15 janvier 1993, les associés d’une société décident d’en modifier l’objet social.

Le 21 novembre 2019, soit plus de 26 ans plus tard, trois associés de la société, estimant que la publicité de cette modification a été incomplètement réalisée le 23 mars 1993, assignent le dirigeant en référé, sur le fondement des dispositions de l’article L. 123-5-1 du code de commerce, afin qu’injonction lui soit faite « de procéder au dépôt des statuts intégrant cette modification et aux formalités afférentes ».

En défense, le gérant soutient que l’action formée par les associés, visant à la régularisation de la publicité des statuts déposés au RCS, est irrecevable car prescrite par le jeu de la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil selon lequel : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

La cour d’appel retient l’argument. Les juges du fond considèrent que l’instance introduite par les associés s’analyse en une action personnelle en ce qu’elle a pour objet de faire reconnaître l’existence d’un droit ou d’une obligation contre une personne, qu’en conséquence le délai de prescription applicable est le délai de droit commun de 5 ans régissant la prescription des actions personnelles et mobilières et que, en l’espèce, ce délai a commencé à courir le 23 mars 1993, date de publication au RCS des statuts prétendument incomplets, cette publication leur conférant opposabilité.

La Cour de cassation casse, au visa des articles L. 123-1, L. 123-5- 1 et R. 123-105 du code de commerce, jugeant que les actes modifiant les pièces déposées au RCS lors de la constitution d’une personne morale doivent eux-mêmes être déposés au registre, que cette obligation, destinée à l’information du public, perdure toute la vie de la personne morale et qu’il s’ensuit que l’action qui permet à tout intéressé ou au ministère public d’obtenir du dirigeant d’une personne morale qu’il procède au dépôt d’un acte n’est pas soumise au délai de prescription de droit commun.

Problématique du régime de prescription applicable

Bien que, depuis quelques années, des dispositions particulières frappent de confidentialité des informations portées au RCS, sa finalité première demeure la publicité ; c’est ce qui résulte des dispositions de l’article L. 123-1, II du code de commerce selon lesquels « figurent au registre, pour être portées à la connaissance du public, les inscriptions et actes ou pièces déposés prévus par décret en Conseil d’État ». Ce texte vise non seulement les dépôts d’actes, mais aussi les inscriptions.

En l’espèce, les demandeurs au référé sollicitaient tout autant le dépôt des statuts réguliers que l’accomplissement des formalités afférentes, autrement dit la déclaration aux fins d’inscription au registre.

Pourtant, la solution posée par la Cour de cassation ne concerne que l’action aux fins de dépôt d’acte et non celle aux fins d’inscription au registre.

Bien que la première de ces actions, prévue à l’article L. 123-5-1 du code de commerce, emprunte la voie du référé et la seconde, prévue à l’article L. 123-3 du même code, celle de l’ordonnance sur requête, il convient de s’interroger sur la pertinence d’une analogie entre le régime de prescription de l’une et celui de l’autre ; en d’autres termes, si l’absence de prescription de l’action aux fins de dépôt d’acte, affirmée par l’arrêt commenté, vaut également pour celle tendant à ce qu’il soit fait injonction à la personne immatriculée au RCS, qui ne les aurait pas requises dans les délais prescrits, de faire procéder aux mentions complémentaires ou rectificatives au RCS.

Afin de clarifier la position du problème posé, il paraît nécessaire de rappeler quelques principes relatifs à la structure du RCS et au régime de ses mises à jour.

Rappel des principes relatifs à la structure du RCS et au régime de ses mises à jour

   Dossiers ouverts au RCS au nom de la personne immatriculée et évolution de leurs contenus

Il résulte des dispositions de l’article R. 123-82 du code de commerce que le RCS comprend, outre un fichier alphabétique des personnes immatriculées, un dossier individuel constitué de la demande d’immatriculation, complétée, le cas échéant, par les inscriptions subséquentes et un dossier annexe où figurent les actes et pièces qui doivent être déposés au registre en vertu d’un texte.

Les inscriptions qui figurent au dossier individuel sont, pour l’essentiel, celles prévues par les articles R. 123-53, en ce qui concerne la société, R. 123-54 et suivants, en ce qui concerne ses dirigeants, et R. 123-59 et suivants, en ce qui concerne son établissement.

Quant aux actes qui doivent être déposés au dossier annexe de la personne immatriculée, ils sont, eux aussi pour l’essentiel, prévus par les dispositions des articles R. 123-103, en ce qui concerne les actes constitutifs, et R. 123-105, en ce qui concerne les actes modificatifs ; ces derniers devant être accompagnés d’un exemplaire des statuts mis à jour.

Ainsi, dans cette affaire, le dossier individuel de la société aurait dû être complété de la mention relative à l’objet social, tel que modifié par l’assemblée générale des associés du 15 janvier 1993 ou, pour être plus précis, de la mention relative aux « activités principales de la société », formulation qui résulte de l’article R. 123-53 précité, et le dossier annexe de la société aurait dû être enrichi du dépôt d’un exemplaire original ou d’une copie certifiée conforme de la décision ayant modifié l’objet social, acte auquel auraient dû être joints les statuts mis à jour.

   Responsabilité de la mise à jour des dossiers ouverts au RCS et délai pour agir

La responsabilité de la mise à jour du RCS, qu’il s’agisse du dossier individuel ou du dossier annexe, incombe à la personne immatriculée, sous réserve des cas marginaux dans lesquels le greffier agit d’office.

Cette obligation résulte, pour le dossier individuel, des dispositions des articles R. 123-45, pour les personnes physiques et R. 123-66 du code de commerce, pour les personnes morales, textes selon lesquels toute personne immatriculée demande une inscription modificative dans le mois de tout fait ou acte rendant nécessaire la rectification ou le complément des énonciations initiales.

Quant au dossier annexe, sa mise à jour incombe également à la personne immatriculée en vertu des dispositions de l’article R. 123-105, selon lequel les actes, délibérations ou décisions modifiant les actes déposés lors de la constitution sont déposés dans le délai d’un mois à compter de leur date accompagnés d’un exemplaire des statuts mis à jour.

On le voit, le délai accordé par le code pour procéder à la mise à jour de son dossier par la personne immatriculée, qu’il s’agisse du dossier individuel ou du dossier annexe, est d’un mois à compter de la date de l’acte ou du fait qui rend nécessaire cette mise à jour.

   Conséquences du non-respect du délai de mise à jour

Les articles L. 123-3 et L. 123-5-1 du code de commerce prévoient qu’à défaut d’action dans le délai requis, comprendre dans le mois, une injonction sous astreinte peut être prononcée par le juge.

Mais ce code organise également, par son article A. 123-43, une incitation de la personne immatriculée à respecter ce délai par une faveur qui lui est accordée dès lors qu’elle agit diligemment et dont elle perd le bénéfice dans l’hypothèse inverse.

   Perte du bénéfice de la « faveur à la diligence »

Le code incite la personne immatriculée à mettre à jour son dossier individuel dans le délai réglementaire par le jeu des dispositions de l’article A. 123-43 du code de commerce.

Il résulte de ce texte que « lorsque plusieurs inscriptions modificatives sont connexes et concernent la même immatriculation, elles peuvent être effectuées sur la même déclaration, dans la mesure où elles sont réalisées dans le délai réglementaire d’un mois. Une même déclaration peut comprendre une inscription complémentaire et des inscriptions modificatives connexes déclarées dans les délais réglementaires. »

Le Comité de coordination du RCS, dans ses avis nos 2015-08 et 2018-03, paraphrasant un peu le texte mais le reformulant néanmoins, a rappelé ce principe dans les termes suivants : « une seule déclaration peut comprendre plusieurs inscriptions modificatives dans la mesure où elles concernent la même immatriculation, entretiennent entre elles un lien étroit et sont déclarées dans le délai réglementaire d’un mois », ajoutant « un seul émolument est dû au greffier pour sa prestation relative à plusieurs inscriptions modificatives dès lors qu’elles résultent d’une seule déclaration souscrite dans les conditions de l’article A. 123-43 ».

Quelques décisions prises en application de ces dispositions précisent : « qu’il résulte des dispositions combinées des articles R. 123-66 et A. 123-43 du code de commerce que toute personne morale immatriculée demande une inscription modificative dans le mois de tout fait ou acte rendant nécessaire la rectification ou le complément des énonciations prévues aux articles R. 123-53 et suivants du code de commerce et que, lorsque plusieurs inscriptions modificatives sont connexes et concernent la même immatriculation, elles peuvent être effectuées sur la même déclaration, dans la mesure où elles sont réalisées dans le délai réglementaire d’un mois ; que ce régime favorable, accordé par le code de commerce à l’entrepreneur diligent, qui consiste à permettre l’accomplissement, par une seule demande, de plusieurs inscriptions modificatives, a pour objectif d’inciter les personnes immatriculées au respect du délai d’un mois dont la finalité est d’offrir au public, notamment aux cocontractants et créanciers, l’accès à une image aussi fidèle que possible de la situation juridique des acteurs économiques » (T. com. Versailles, ord. du juge commis à la surveillance du RCS, 24 déc. 2020, n° 20S86 ; T. com. Versailles, ord., 25 janv. 2021, n° 21S5 ; T. com. Versailles, ord., 23 mars 2021, n° 21S20).

D’autres décisions concluent : « … il s’ensuit que la demande d’inscription modificative n’avait pas été présentée dans le mois et ne pouvait donc bénéficier des dispositions de l’article A. 123-43 du code de commerce (…) dès lors, la décision de rejet prise par le greffe du tribunal de commerce était fondée. » (TJ Versailles, ord. du juge commis à la surveillance du RCS, 27 mai 2021, n° 21/30 ; TJ Versailles, ord., 4 mai 2021, n° 21/9 ; TJ Versailles, ord., 17 juin 2021, n° 21/22).

   Risque d’action imprescriptible en injonction de faire sous astreinte

A défaut d’avoir, dans le délai réglementaire d’un mois, saisi le greffier des demandes d’inscriptions modificatives à son dossier individuel ou d’avoir sollicité de lui le dépôt des actes à son dossier annexe, la personne immatriculée s’expose à s’y voir contrainte, par décision de justice, le cas échéant sous astreinte.

Dans le premier cas, le juge compétent est le juge commis à la surveillance du RCS qui statue par ordonnance, à l’encontre de la personne immatriculée, sur requête du procureur de la République ou de toute personne justifiant y avoir intérêt (C. com., art. L.123-3, al. 2). Dans le second cas, la compétence revient au président de la juridiction, statuant en référé, à l’encontre des dirigeants, à la demande de tout intéressé ou du ministère public, le juge pouvant également désigner un mandataire chargé d’effectuer ces formalités (C. com., art. L. 123-5-1).

L’apport de l’arrêt commenté tient à la prescription de l’action en référé fondée sur l’article L. 123-5-1 du code de commerce.

En premier lieu, la Cour de cassation pose le principe selon lequel l’obligation de dépôt, « destinée à l’information des tiers, perdure toute la vie de la personne morale ».

La formulation, pour éloquente qu’elle soit, pêche cependant par excès d’anthropomorphisme.

En effet, si une personne physique et une personne morale sont toutes deux sujets de droit à part entière, sous réserve du principe de spécialité pour la seconde, l’utilisation du mot « vie » pour caractériser le temps durant lequel la personne morale est soumise à des obligations laisse perplexe.

Faut-il considérer que la personne morale « meurt » ?

Dans l’affirmative, le constat de décès résulte-t-il de sa radiation du registre ?

Dans ce cas, qu’advient-il des principes maintes fois affirmés par la jurisprudence selon lesquels :

la personnalité morale subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés (Cass. com., 15 mai 1984, n° 83-12.094 ; Cass. com., 7 avr. 2010, n° 09-14.671) ;

– il n’existe aucun lien nécessaire entre les dispositions de l’article L. 210-6 du code de commerce liant la personnalité morale des sociétés commerciales à leur immatriculation au RCS et celles concernant les formalités relatives à la liquidation des sociétés commerciales (Cass. com., 30 mai 1978, n° 76-14.690) ;

– après clôture de la liquidation, une action en justice reste possible contre la société, celle-ci devant être mise en cause, après désignation, à l’initiative du demandeur à l’instance, d’un mandataire chargé de reprendre les opérations de liquidation… (Cass. com., 26 janv. 1993, n° 91-11.285).

Quoi qu’il en soit, la conséquence tirée par la Cour de cassation de la permanence de cette obligation tout au long de la vie de la personne morale est que l’action prévue à l’article L. 123-5-1 du code de commerce n’est pas soumise au délai de prescription prévue par l’article 2224 du code civil.

On peut ainsi en conclure que cette action est imprescriptible, même si sa recevabilité risque de se heurter à cette notion incertaine de « vie de la personne morale ».

Enfin, si l’obligation de dépôt perdure tout au long de la vie de la société, il semble permis, par analogie, de considérer que l’obligation de faire procéder aux mentions complémentaires ou rectifications nécessaires demeure sur la même période.

L’action en injonction sous astreinte devant le juge commis à la surveillance du RCS, fondée sur les dispositions de l’article L. 123-3 du code de commerce, doit donc être pareillement imprescriptible.

A l’heure où le RCS s’affirme comme un véritable outil de police économique et de lutte contre la fraude, l’imprescriptibilité de l’action aux fins de dépôt d’actes doit également s’étendre à celle tendant à la publicité des comptes annuels fondée sur les dispositions de l’article L. 611-2, II du code de commerce et à celle tendant à la déclaration des bénéficiaires effectifs prévue à l’article L. 561-48 du code monétaire et financier.

 

Ø  Cass. com., 25 janv. 2023, n° 21-17.592, n° 81 B

 

 

Jean-Paul Teboul,
Greffier associé au tribunal de commerce de Versailles

 

Éditions Législatives – www.elnet.fr
Article extrait du Bulletin d’actualité des greffiers des tribunaux de commerce n° 173, avril 2023 : www.cngtc.fr